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Crédit photo: Distillerie des Marigots
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Des produits inspirés par l’air marin

18 février 2022 | Par Sophie Poisson

Les entrepreneurs québécois sont de plus en plus nombreux à se tourner vers la nature pour y développer des produits, comme le gin St. Laurent qui utilise les algues du fleuve ou encore le gin Récif et le café Moussonné.

« De quoi est composé un gin ? De genévrier, de la racine, de l’épice et de l’agrume. Je me suis alors demandé ce qui, en Gaspésie, était susceptible d’amener ces saveurs », raconte le président-fondateur de la Distillerie des Marigots située à Caplan, dans la Baie-des-Chaleurs, Joseph St-Denis Boulanger. Originaire du village gaspésien, il avait deux objectifs : mettre en valeur les ingrédients de son terroir et concevoir un gin qui se démarque.

« Je voulais qu’au premier contact, on comprenne quand même qu’il s’agisse d’un gin », souligne l’entrepreneur. Il a trouvé dans la nature plusieurs ingrédients communs au gin traditionnel : le genévrier, les racines d’angélique sylvestre et de coriandre. Des amis herboristes ont aiguillé ses recherches et le cueilleur de Gaspésie Sauvage lui a également fourni des échantillons.

Joseph St-Denis Boulanger dispose d’un petit alambic de laboratoire dont il se sert pour découvrir individuellement les ingrédients, comme la fleur d’armoise, qu’il distille avec un alcool neutre. Il réfléchit ensuite aux associations possibles et aux ratios. Une fois le prototype trouvé, il le met à l’échelle dans son alambic de production.

Le défi de l’approvisionnement

Si la Gaspésie n’est pas un producteur d’agrumes, il a dû en intégrer à son gin : « C’est très important pour faire le lien avec le cocktail, entre autres. » Il a ainsi utilisé le genévrier qui contient des notes citronnées, dont il a renforcé les saveurs avec d’autres ingrédients : la graine de coriandre qui goûte l’orange ; les jeunes pousses de mélèze, les feuilles de mélisse et la berce laineuse pour leur côté citronné.

Le défi réside dans l’approvisionnement. « Quelqu’un qui réalise en avril qu’il a besoin de 100 kg de cardamome, il va en trouver beaucoup et faire des comparaisons de prix. De mon côté, si je m’aperçois en mars qu’il me manque des bourgeons de peuplier baumier, je dois attendre mai qu’ils soient prêts à être cueillis. Personne ne les cueille de façon soutenue, car il n’y a pas forcément de marché pour cet ingrédient », explique Joseph St-Denis Boulanger.

Il a donc délaissé les ingrédients dont la cueillette est impossible à assurer - par exemple, les chatons de myrique baumier qui sautent parfois une année – ou ceux dont la survie est menacée – tels la canneberge et l’argousier sauvage.

Crédit photo : Vincent Lebègue / Distillerie des Marigots

Mise en marché

« Ma distillerie est vraiment implantée dans son milieu, insiste le Gaspésien. Je ne pourrais pas la déraciner et la mettre ailleurs, que ce soit pour ses ingrédients ou son nom : Marinot fait référence à une expression locale. Je voulais donc une marque évocatrice et simple. Récif, on en trouve à fleur d’eau et ça fait référence à l’arôme iodé qu’on retrouve dans le gin. »

Il aura fallu environ un an pour trouver la recette, puis il y a eu six mois de retard sur la livraison de l’alambic - en lien avec la Covid-19. « L’intérêt des clients pour les produits locaux et authentiques depuis la pandémie a peut-être rendu notre produit plus populaire, mais c’était déjà une tendance qu’on avait remarquée dans notre étude de marché. Par contre, j’ai quand même six mois de retard et de ventes non faites à cause de ça, donc ça a été plus une embûche qu’une aide. À long terme, peut-être que ça s’équilibrera... » Parallèlement, il a développé une série exploratoire qui est composée de gins à durée limitée, vendus exclusivement sur place.

Crédit photo : Le Moussonneur

Une nature intégrée dans son procédé

Direction les Îles-de-la-Madeleine avec l’artisan torréfacteur Richard O’Neill, surnommé Le Moussonneur. « En Inde, le café Malabar Moussonné AA est réalisé pendant la période des pluies. L’humidité et l’eau font gonfler le café et le font légèrement fermenter. J’ai appris que ce procédé remontait aux années 1700, époque à laquelle les Anglais faisaient venir par bateaux à voiles leur café d’Inde. Le café changeait de couleur parce qu’il pouvait être entreposé pendant six mois dans les cales de bateau. Ce rendu est donc différent de ce qui se fait en Inde et j’ai voulu le recréer le plus fidèlement possible. »

Il a commencé en 2004 par faire des tests sur l’eau et la salinité. Sa production Les Moussonnés a pris forme en 2008 en plongeant des poches de 150 livres de café vert non torréfié dans l’eau - plutôt que de l’asperger, comme initialement essayé. Richard O’Neill le transférait ensuite sur un séchoir où l’air circule librement et permet au sodium de se cristalliser à l’intérieur du grain. Il remplissait ainsi des poches de jute, puis torréfiait le café au fur et à mesure des besoins de sa maison de torréfaction et de son coffee shop.

« Même s’il y a de plus en plus de touristes l’été, l’hiver, les affaires de l’archipel ne sont pas faciles parce qu’on retombe à 12 000 de population. Si j’étais encore sur place, je ne pourrais pas fournir tous les IGA de la province. Logistiquement parlant, ce ne serait pas possible à cause des temps de transport », affirme l’artisan torréfacteur.

Une production en intérieur

Il a déménagé à Rimouski où il a ouvert en 2013 un deuxième coffee shop. Après avoir fait la navette aux deux semaines, il a finalement décidé de fermer son coffee shop aux Îles-de-la-Madeleine en 2015, et pendant la pandémie, il a transféré sa production dans le Bas-Saint-Laurent. Son café est aujourd’hui placé dans du sel avant de le faire sécher. En faisant sa transformation dans des locaux, il élimine plusieurs problèmes de salubrité associés à l’environnement extérieur, notamment ceux liés à la présence d’oiseaux marins. Il gagne aussi en constance, puisqu’il n’a plus à gérer les fluctuations de la température de l’eau ou encore les intempéries qui pouvaient stopper sa transformation.

Avec un taux d’humidité d’environ 14 %, il est plus élevé qu’un café importé qui est assujetti aux lois du transport à 12 %, donc il nécessite un temps de séchage plus long. Richard O’Neill garde son café sur place pour lui même le mélanger à l’un des cinq cafés expresso du Moussonneur. « Le café Moussonné pur est trop salé, donc imbuvable. Le sel doit simplement faire ressortir les saveurs du café auquel il est associé ! » À terme, il aimerait s’approvisionner en sel québécois, avec Sel Saint-Laurent.

Mots-clés: Québec