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Crédit photo: 10015389 / Pixabay
||| Économie

Frito Lay et Loblaw exposent les tensions entre fournisseurs et détaillants

23 février 2022

L’un des plus grands fabricants de produits alimentaires du Canada a interrompu ses livraisons vers le plus grand épicier du pays à cause d’un incident qui illustre l’impact significatif de l’inflation sur l’industrie et creuse un fossé entre certains détaillants et leurs fournisseurs. Au cœur du problème entre Frito-Lay Canada et les Compagnies Loblaw se trouve un différend sur les prix que le fabricant de marques comme Cheetos, Doritos, Lays, Ruffles et Sunchips demande pour ses produits, afin de récupérer les hausses de coûts auxquelles il est confronté.

La situation fait en sorte que les étagères de l’allée des croustilles et des grignotines de plusieurs magasins Loblaw, ou Provigo au Québec, sont moins remplies que d’habitude, ou sont davantage approvisionnées avec les marques maison comme le Choix du Président ou Sans nom. La porte-parole de Frito-Lay, Sheri Morgan, a confirmé l’existence d’une « perturbation temporaire » avec un client. « Notre entreprise a dû faire face à des pressions sans précédent avec la hausse des coûts pour des choses telles que les ingrédients, l’emballage et le transport, a-t-elle expliqué. Pour aider à contrebalancer ces pressions sur nos activités canadiennes, nous avons apporté des ajustements à nos prix qui sont cohérents sur l’ensemble du marché. »

La porte-parole de Loblaw, Catherine Thomas, a affirmé que l’épicier « se concentrait avec précision » sur la minimisation des augmentations des prix de détail. « Lorsque les fournisseurs demandent des coûts plus élevés, nous effectuons un examen détaillé pour nous assurer qu’ils sont appropriés, a-t-elle expliqué. Cela peut conduire à des conversations difficiles et, dans les cas extrêmes, les fournisseurs cessent de nous expédier les produits. »

Le fossé entre Frito-Lay et Loblaw témoigne des tensions croissantes dans l’industrie alimentaire canadienne. Selon de nombreux experts, celles-ci pourraient s’aggraver à mesure que les défis de la chaîne d’approvisionnement et l’inflation se poursuivent. Certains soutiennent que les épiciers essaient simplement de maintenir le plus bas possible leurs prix affichés et d’empêcher les fournisseurs d’utiliser l’inflation pour justifier des hausses de prix déraisonnables.

D’autres suggèrent que les épiciers utilisent leur force de marché pour intimider les fournisseurs et gonfler leurs résultats. « C’est difficile que cela se soit transformé en une relation aussi conflictuelle, a souligné Michael Graydon, chef de la direction de produits alimentaires, de santé et de consommation du Canada, qui représente Frito-Lay et PepsiCo Foods Canada. Le niveau de frustration augmente. » L’augmentation des prix de gros que certains fournisseurs demandent aux détaillants contribuera à atténuer l’inflation en cours, mais ne contrebalancera pas complètement la hausse des coûts, a-t-il fait valoir. Le prix final que les consommateurs paient dans les magasins est fixé par les détaillants en alimentation, a rappelé M. Graydon.

Des fournisseurs trop gourmands ?

Cependant, les défenseurs de l’industrie de la vente au détail affirment que les fabricants de produits alimentaires recherchent, dans certains cas, des hausses de prix supérieures à l’inflation. La porte-parole du Conseil canadien du commerce de détail, Michelle Wasylyshen, a affirmé que le groupe industriel, qui représente Loblaw, avait été contacté en janvier par les grands et les petits détaillants en alimentation au sujet d’une vague de nouvelles augmentations de prix de la part des fournisseurs. « Cela fait suite à un nombre déjà alarmant d’augmentations au cours du trimestre précédent, a-t-elle précisé. Dans de nombreux cas, les augmentations sont sans précédent et dépassent de loin les niveaux typiques d’inflation alimentaire. »

Statistique Canada a indiqué, la semaine dernière, que les prix des aliments avaient augmenté de 6,5 % en janvier, enregistrant leur plus forte augmentation annuelle en plus d’une décennie. L’inflation alimentaire était supérieure à l’inflation d’ensemble, qui s’est établie à 5,1 %. Il est difficile de prévoir quel genre d’impact la perte des ventes dans les établissements de Loblaw, qui comprennent notamment au Québec les enseignes Provigo et Maxi, pourrait avoir sur Frito-Lay. Les produits de l’entreprise sont fabriqués au Canada, en grande partie à partir de pommes de terre canadiennes cultivées par des agriculteurs locaux.

Des experts estiment qu’une baisse à long terme des ventes pourrait finalement nuire aux producteurs locaux. Mais ils notent en outre que la fidélité à la marque pourrait jouer en faveur du producteur de croustilles. « Frito-Lay fait le pari que la fidélité des consommateurs à leurs marques lui donne un levier pour faire ce pas », estime Joel Gregoire, directeur associé pour les aliments et les boissons au Canada de la société d’études de marché Mintel.

Pourtant, retirer l’approvisionnement de Loblaw - qui détient la plus grande part des ventes d’épicerie au Canada - est également risqué pour le fabricant de produits alimentaires, a-t-il estimé. « Le fait de ne pas remplir les commandes du plus grand épicier du Canada aura sans aucun doute un impact substantiel sur les ventes à court terme de Frito-Lay », a affirmé M. Gregoire. Plus largement, il juge que le différend semble emblématique d’une bataille plus vaste pour l’effet de levier des prix entre les épiciers et les fabricants. « Cette tension n’est pas nouvelle, mais cette décision de Frito-Lay touche à des enjeux importants, a-t-il affirmé. C’est une bataille pour maintenir les marges alors que les coûts augmentent. »

En effet, l’expert en alimentation Sylvain Charlebois a souligné que les frictions entre Frito-Lay et Loblaw n’étaient que la « partie visible de l’iceberg ». L’hostilité entre les détaillants et les fabricants pourrait s’aggraver dans les mois à venir, a-t-il prévenu. « Il ne s’agit pas seulement des croustilles, a souligné M. Charlebois, professeur de sciences analytiques en agroalimentaire à l’Université Dalhousie. Nous allons également voir cela dans d’autres catégories d’aliments comme la boulangerie et les produits laitiers. »

(avec La Presse Canadienne)