C’est un fait, au Québec comme au Canada : on aime centraliser les secteurs économiques. Que ce soit pour l’électricité ou la vente d’alcool, les coopératives de production alimentaire ou les syndicats de producteurs, pour ne citer que quelques exemples, il y a une tendance : celle d’aimer regrouper.
Évidemment, cette centralisation aide à protéger les uns et à assurer des revenus à d’autres, mais surtout à faire peur à des entrepreneurs d’ici et d’ailleurs qui voudraient s’établir et favoriser la concurrence du marché. Dans le commerce alimentaire de détail, plus précisément, l’émancipation des joueurs est difficile. Aucun groupe sensé qui opère dans des marchés beaucoup plus ouverts ne sera assez aventurier pour s’inviter dans cette jungle.
Quand le gouvernement fédéral a voulu s’impliquer dans ce secteur, ma réaction a alors été de me demander : pourquoi doit-il faire office de juge et de bourreau dans ce secteur ? A-t-il la capacité de se projeter dans l’avenir pour bien comprendre ce que sera le commerce de détail alimentaire ?
Évidemment, devant la grogne des consommateurs, les décideurs ont voulu apaiser le jeu. Nous étions devant une situation sans précédent. Le secteur agroalimentaire qui, selon moi, est l’un des plus fragiles économiquement, a été touché de plein fouet par un contexte qui semble se calmer, avec une stabilisation de l’inflation un peu partout dans le monde.
C’est tout de même une bonne leçon pour les joueurs de l’industrie comme pour les consommateurs. Ces derniers retrouveront leur pouvoir d’achat pour être en mesure de s’approvisionner à leur goût et selon leurs moyens, et les manufacturiers et détaillants devront trouver des solutions de gestion plus élaborées que seulement par les ajustements de prix.
Selon moi, le secteur va changer drastiquement dans les prochaines années. Ces changements vont offrir des possibilités à de nouveaux entrepreneurs ou à des commerçants d’ailleurs afin de faire évoluer notre petit marché. Nous sommes des détaillants avertis, comme en font foi des exemples de réussite probants, notamment Couche-Tard, Avril, TAU, Metro, Adonis et Provigo.
Alors, plutôt que d’inviter des joueurs mondiaux, aidons plutôt nos entrepreneurs d’ici en limitant l’intervention du gouvernement et en laissant aux petits et moyens entrepreneurs locaux plus de liberté pour profiter de la loi du marché.
Un vent de panique commence à souffler au sein de l’industrie alimentaire canadienne, car un nouveau symbole d’avertissement nutritionnel fera bientôt son apparition sur les emballages des produits considérés comme nocifs par Santé Canada. Sur quelles bases le règlement à l’origine de ce changement repose-t-il ? Comment s’y préparent les transformateurs alimentaires ? Et surtout, quels en seront les impacts sur l’offre des détaillants alimentaires ?
Après avoir testé pendant 20 ans plusieurs méthodes pour encourager les consommateurs à faire des choix alimentaires plus sains – du Guide alimentaire canadien à l’affichage des ingrédients sur les produits – et pour pousser l’industrie alimentaire à améliorer la qualité de son offre, Santé Canada a sorti en 2022 l’artillerie lourde en annonçant un changement majeur dans l’étiquetage d’à peu près tout ce qui est proposé en épicerie.
À partir du 1er janvier 2026, un symbole nutritionnel devra figurer sur le devant de l’emballage des aliments ayant une teneur élevée en gras saturés, en sucres ou en sel. Plus concrètement, une loupe noir et blanc, bien visible sur toutes les catégories d’emballages, apparaîtra dès que la limite de 15% de la valeur quotidienne recommandée de l’un ou de plusieurs de ces trois nutriments sera dépassée. La même règle s’appliquera au prêt-à-manger, qui ne devra pas excéder un ratio de 10% de ces trois nutriments dans les produits de 30g ou moins, et de 30% pour les portions de 200g ou plus (repas complets). La nouvelle réglementation prévoit quelques exemptions, comme pour les fromages (mais pas les préparations laitières), le yogourt nature, le beurre et les fruits secs non sucrés.
Ces paramètres de santé publique sont moins exigeants, à première vue, que le Nutri-score européen ou l’application Yuka utilisée au Canada, qui prennent en compte plus de critères, comme la présence d’additifs alimentaires, la teneur élevée en fibres, l’origine biologique des ingrédients et la présence de bons gras. Mais attention : une sacrée surprise attend les détaillants québécois qui ne se soucient pas du contenu des produits qu’ils tiennent en magasin…
Des constats alarmants
L’experte en nutrition et en marketing alimentaire Isabelle Marquis, qui a fouillé la nouvelle réglementation et s’est nourrie des données de l’Observatoire de la qualité de l’offre alimentaire (voir encadré page 11), est formelle : l’industrie alimentaire canadienne n’est pas du tout prête à l’arrivée du symbole d’avertissement sur ses produits. « C’est simple : 60% des produits vendus en épicerie ne répondent pas encore aux exigences demandées, indique-t-elle. Pourtant, ce nouveau symbole va susciter des réactions, c’est certain. Les consommateurs s’attendent à ce que des paquets de croustilles ou des pâtisseries soient ornés de la loupe, c’est logique. Mais ils vont faire des bonds s’ils voient que des aliments dont ils ne se méfient pas, comme les soupes (à 85,5%), les pains tranchés (à 36,8%), les barres tendres (49,3%) ou encore les compotes sont aussi touchés. »
L’experte pense que l’image de marque de nombreuses sociétés pourrait être ternie par l’affichage du symbole sur leurs emballages et les ventes de ces produits diminuer radicalement. « Tout le monde est concerné, les marques nationales comme privées, dit-elle. Celles qui ont coupé les coins ronds, fait de la déqualiflation ou affiché des allégations santé trompeuses. » Les exemples en la matière ne manquent malheureusement pas. Combien de transformateurs ont, au fil des années, modifié les ingrédients de leurs recettes à leur avantage ou affiché sur des produits « riches en Oméga 3 » (et donc en bons gras), alors que ces derniers étaient en réalité bourrés de gras saturés ? Dans la foulée de l’apparition de la loupe sur les emballages, il y a fort à parier que les consommateurs choisiront d’autres options plus saines.
Se conformer aux exigences
Comme une bonne partie des fabricants et des détaillants alimentaires n’ont pas encore pris la pleine mesure de ce qui les attend en 2026, Isabelle Marquis a monté une série de webinaires pour Amélioration Alimentaire Québec (une initiative du Conseil de la transformation alimentaire du Québec) pour leur expliquer l’impact de la réglementation et la façon de s’y préparer, catégorie par catégorie : déjeuners et collations, mets composés, viandes et alternatives végétales, produits laitiers ou alternatifs.
De la même manière, le Groupe Export agroalimentaire, qui représente plus de 400 transformateurs et dispose notamment d’un volet Étiquetage et Réglementation, présentera en mai une formation sur le sujet. « Nous voulons de manière très concrète montrer comment déterminer si les produits dépassent les seuils établis, comment positionner le nouveau symbole sur les emballages et pourquoi éviter les allégations qui seraient contraires à l’affichage de la loupe », explique Julie Langlois, directrice de ce service.
L’experte recommande aux professionnels de ne pas attendre la dernière minute pour évaluer la valeur nutritionnelle de leurs produits et se conformer aux nouvelles exigences, que ce soit en reformulant leurs recettes ou en modifiant leurs emballages s’il s’avère qu’ils doivent y ajouter la loupe. « Nous les relançons tous les trois mois pour les alerter et nous sommes également prêts à les accompagner en consultation pour évaluer et vérifier la conformité de leurs recettes, ajoute-t-elle. Il faut que nous soyons tous proactifs. »
La proactivité est en effet le maître-mot de cette situation épineuse. L’entrepreneure et spécialiste en nutrition Isabelle Huot en sait quelque chose, puisqu’elle propose une gamme de prêt-à-manger, collations, desserts et assaisonnements dans les épiceries. « J’ai toujours été en faveur de politiques visant une saine alimentation, assure-t-elle. Donc je vois d’un très bon œil l’arrivée de la loupe nutritionnelle, qui poussera l’industrie à changer ses pratiques. » Avec ses produits au contenu nutritif déjà supérieur aux exigences de Santé Canada, elle ne se fait pas de souci pour son offre. Mais elle reconnaît avoir dû revoir ses marges bénéficiaires pour assurer la qualité de ses produits.
L’experte en nutrition se questionne également au sujet de l’ambiguïté de la loupe sur certains produits qu’elle considère comme moins nocifs que d’autres. « Pourquoi une pâtisserie riche en beurre serait-elle cotée, alors qu’une autre avec du shortening dans sa recette, mais présentant moins de 15% de la valeur quotidienne recommandée, ne le serait pas ? » lance-t-elle. La question peut effectivement se poser pour un certain nombre d’aliments, du jus d’orange sans sucre ajouté (mais quand même sucré naturellement par les fruits) à une sauce Alfredo, qui doit à la base contenir de la crème et du fromage. Un vrai dilemme attend par conséquent les épiciers qui devront guider leurs clients à travers le dédale des produits avec ou sans loupe d’ici moins de deux ans.
Stratégies futées
Le rôle des épiciers sera crucial lors de l’arrivée du symbole nutritionnel sur les produits de leurs magasins, puisque ce sont eux qui sont en contact direct avec les consommateurs. Les spécialistes rencontrés leur recommandent donc de s’informer et de se former afin d’être en mesure de répondre aux questions qui leur seront posées et de conseiller judicieusement leur clientèle en fonction de la nouvelle réglementation. « Mais ils doivent faire plus, ajoute Isabelle Marquis. Je leur suggère fortement de vérifier le contenu nutritionnel de l’entièreté de leur offre – y compris les marques privées qu’ils font produire – pour savoir quels produits seront visés par la loupe (il y en aura beaucoup !) et s’assurer que ceux qui affichent des allégations santé sont réellement ce qu’ils prétendent être. »
Selon l’experte, cette démarche auprès des fournisseurs permettra aux épiciers de contrôler leur image de marque, de pousser les transformateurs à ajuster leurs recettes, et de rationaliser au besoin leurs commandes pour offrir de meilleurs choix en magasin. « Plutôt que de voir ce changement comme une épine dans le pied, ils pourraient l’envisager comme une occasion de se distinguer en tant qu’acteurs engagés envers une saine alimentation, conclut-elle. Ce n’est pas négatif ! »
Anick Martin
Le dépanneur 10-10, tatoué sur le cœur
« La vente au détail, ça fait partie de notre ADN familial ! s’exclame de sa voix énergique Anick Martin, propriétaire du dépanneur 10-10, à Thurso. On a grandi là-dedans. Ma grand-mère avait un magasin général. Dans chaque village du coin, il y avait un de mes oncles avec son dépanneur. Moi, j’ai apprivoisé le milieu aux côtés de mon père, qui a acheté son dépanneur en 2000. Ma sœur a aussi travaillé avec nous, énumère-t-elle. Et en mai 2022, j’ai acheté le commerce de mon père. Mes deux ados y travaillent à temps partiel, mais je suis officiellement la seule de la famille à avoir repris les rênes et j’en tire une grande fierté, surtout depuis le décès de mon père en décembre dernier. »
Déménagement des comptoirs, ajout d’une porte de garage pour mieux réceptionner la marchandise, projet d’agrandissement de la chambre froide… l’énergique entrepreneure a constamment des projets. Le dernier réalisé : l’ajout d’un service de livraison gratuite. « J’ai constaté que les gens, comme les personnes âgées ou à mobilité réduite, avaient besoin d’un tel service. J’ai donc mis une annonce non seulement sur le mur du dépanneur et notre page Facebook, mais aussi dans le calendrier de la municipalité. Je suis bien heureuse de voir qu’on peut ainsi aider certaines personnes parfois démunies. »
Des défis à relever
La vie dans un dépanneur n’est pas un long fleuve tranquille ! « Ma plus grande difficulté de gestionnaire aura été d’apprendre à déléguer. Quand j’ai commencé, entourée de mon père et de ma sœur, nous faisions tout nous-mêmes. Déléguer, on ne connaissait pas ça ! Mais j’ai appris : quand une commande entre, je me retiens peut-être un peu, mais ce n’est plus moi qui place la marchandise sur les tablettes ! »
Pour la propriétaire, les longues heures d’ouverture de l’établissement restent également un défi. « Je trouve de plus en plus difficile de devoir faire un remplacement de dernière minute. Heureusement, les employés ont accès à la page d’un groupe privé que nous avons créé sur Messenger, et bien souvent quelqu’un se porte volontaire si je fais une demande. »
Solidaire de sa collectivité
Il ne faut pas beaucoup de temps pour constater qu’Anick Martin carbure au désir d’aider. « Je cherche à être aussi présente que possible dans ma communauté. » Par exemple, en soutien aux activités locales, elle accepte de faire de son commerce un point de chute pour la réception des billets de divers festivals. « Pour moi, c’est d’abord une façon d’appuyer les producteurs d’une activité qui va nécessairement attirer des gens dans notre municipalité. Il va de soi que je leur donne un coup de pouce ! Mais en plus, certains de mes clients m’ont dit ne pas avoir accès à Internet ; en faisant le lien avec le promoteur, je leur permets de se procurer leurs billets. »
Soucieuse d’éviter le gaspillage alimentaire, Anick apporte régulièrement son surplus de denrées non périmées dans le frigo communautaire du village. Parfois, elle va même communiquer directement avec des personnes à faibles revenus qu’elle connaît, pour qu’elles passent au commerce prendre la marchandise.
Mais Anick Martin est surtout connue pour sa distribution de bons de barbotine ! « Je suis membre du Club Optimiste local, dont l’objectif est le soutien à la jeunesse. Je vais donc donner de mon temps ou offrir de la marchandise. Toutefois, ce pour quoi je suis vraiment connue, ce sont mes coupons de slush ! L’école primaire, les clubs de patinage artistique, les Chevaliers de Colomb, l’équipe de curling… je suis toujours contente de donner quelques bons d’achat de slush, des cadeaux ou un petit budget pour soutenir leurs tournois et autres activités. Au dernier carnaval, j’ai organisé un concours de dessins et j’ai tiré au sort un abonnement d’un an de slush. Je suis carrément devenue madame Slush » !
De précieux actifs
L’un des meilleurs actifs du dépanneur 10-10 ? Sa clientèle ! « Avec les années, on a développé une magnifique relation avec nos clients. Le mois dernier, des étudiants en cinéma sont venus tourner des images pour un documentaire sur les dépanneurs et ils n’ont pas pu s’empêcher de dire à quel point ils étaient étonnés de voir la proximité que nous avons avec eux. Pour nous, c’est normal. Les gens se sentent chez eux, chez nous. On les connaît tellement bien, qu’on pourrait les servir même s’ils perdaient la voix ! Récemment, une femme est venue acheter des cigarettes pour son amie qui était malade ; elle avait oublié la marque de cigarettes, mais moi, je la connaissais ! Régulièrement, des viennent me faire un petit coucou dans mon bureau. Ils me surnomment Anick Soleil. »
L’équipe en place de neuf personnes est aussi très importante aux yeux de la femme d’affaires. « Je veux que les jeunes qui travaillent ici sentent qu’on se soucie de leur bien-être. Qu’on reconnaît leur contribution au commerce. C’est pour cela que nous avons adopté la formule de l’horaire de travail variable. Par exemple, quand un de nos étudiants me dit à l’avance qu’il aimerait participer à une activité spéciale un samedi, je vais faire le maximum pour l’accommoder. Et pour inciter les gens de moins en moins intéressés à travailler les fins de semaine, je donne une prime de 0,50 $ l’heure les samedis et dimanches. Aussi, quand quelqu’un accepte de remplacer au pied levé un employé malade, je le récompense, par exemple en lui payant son repas. »
Membre non officiel de l’équipe, Claude Ducharme, conjoint d’Anick Martin, est lui aussi un précieux élément de son équipe. « Très tôt, il a su voir en moi cette entrepreneure que je ne voyais pas et il m’a accompagnée dans l’acquisition du dépanneur. Il m’épaule dans les moments difficiles. »
L’AMDEQ, un partenaire
« Je ne me suis jamais permis d’aller au congrès de l’AMDEQ, même si je sais que je trouverais enrichissant de voir ce qui se fait ailleurs. Mais l’AMDEQ est bien présente dans notre réalité, notamment parce que j’aligne toutes mes promotions en fonction des ristournes accordées. Ce que je reçois de l’AMDEQ, je le redonne de l’autre côté. Avec le coût de la vie, si je peux permettre à mes clients d’économiser grâce à l’AMDEQ, j’en suis bien contente ! »
Eaux aromatisées ou vitaminées, boissons énergisantes aux saveurs étonnantes, cafés infusés à froid, cocktails avec ou sans alcool, boissons isotoniques de toutes les couleurs : on a plus que l’embarras du choix désormais lorsqu’il est question de boissons toutes prêtes en canettes ou en bouteilles. Êtes-vous au fait des nouvelles tendances ?
« L’offre a explosé dans toutes les catégories, confirme Émilie Girard, directrice marketing du Groupe Saga, siège social des dépanneurs Super Sagamie. Les gens veulent de plus en plus essayer de nouveaux produits, et il faut s’adapter à leur désir de changement. Pepsi et Coke doivent sans cesse se renouveler. »
Les boissons gazeuses, jus d’orange et eaux plates ou pétillantes que l’on retrouvait traditionnellement sur les tablettes des commerces de proximité ont donc désormais de sérieux concurrents, et l’espace commence à manquer pour donner à tous la visibilité nécessaire. « C’est un défi de trouver de la place pour toutes ces nouvelles boissons. Il en sort continuellement. Pour avoir le portefeuille complet, il faut couper dans certains produits afin de donner de l’espace à d’autres ; car lorsqu’une nouvelle catégorie de boissons apparaît, tu dois l’offrir. On est victimes des innovations. Les portes ne sont pas élastiques », fait remarquer la directrice.
L’avalanche de nouvelles boissons s’étend également dans les commerces des stations-service du groupe Harnois Énergies. C’est pourquoi des comptoirs réfrigérés sont ajoutés automatiquement lors de la rénovation de tout magasin, indique Steve Lamontagne, vice-président, exploitation de détail, carburant et marketing de l’entreprise. Il se dit à l’affût des nouvelles tendances, car en raison de la fin annoncée de la vente de véhicules neufs à essence au Canada, en 2035, et de la baisse lente mais progressive de la vente de cigarettes, « il faut explorer toutes les autres sources de revenus possibles ».
L’homme d’affaires constate toutefois que plusieurs de ces tendances sont très éphémères, et qu’il faut donc les avoir rapidement en tablettes pour profiter de l’engouement qu’elles suscitent. « Pensons aux boissons alcoolisées. Il y a trois, quatre ans, la mode était au seltzer, une eau pétillante alcoolisée avec saveur. Maintenant, on parle plus des boissons alcoolisées aromatisées contenant du malt. Ça a commencé l’an passé, et cette année on s’attend à en vendre encore plus », détaille-t-il.
Un marché plus santé
Pour Gabrielle Patry-Beaudoin, professeure de marketing à l’Université de Sherbrooke, le consommateur actuel, toujours en manque de temps, recherche sans nul doute des produits pratiques que l’on peut boire « sur le pouce ». Mais elle souligne surtout l’importance croissante que prend l’alimentation saine dans la population. « Ce sont des tendances sociétales. Les gens parlent de plus en plus de santé. Ils veulent notamment consommer moins de sucre. »
Cet intérêt envers le produit « diète » se vérifie chez les détaillants, et la plupart des marques mettent désormais de l’avant de nouveaux produits contenant peu ou pas de glucides. D’autres, comme la marque de boissons énergisantes Guru, misent sur une recette composée d’ingrédients « naturels » (échinacée, thé vert, ginseng, guarana), ce qui semble fonctionner puisque cette boisson « occupe de plus en plus de parts de marché », assure Émilie Girard.
Les cocktails non alcoolisés ont eux aussi la cote, particulièrement chez les jeunes adultes. « C’est là une autre tendance sociétale, comme en témoigne la popularité grandissante du mois de février sans alcool », souligne Gabrielle Patry-Beaudoin. L’eau sous toutes ses formes prend également une place grandissante dans les commerces, au détriment de la bière, atteste Steve Lamontagne. « Les ventes de bière descendent. Et les gens sont de plus en plus sensibles à l’idée de boire deux litres d’eau par jour. Mais ils veulent autre chose que de l’eau normale… » Émilie Girard confirme que l’eau vitaminée gagne en popularité.
Steve Lamontagne pense par ailleurs que c’est le marché du thé froid qui prendra prochainement de l’expansion : « Le thé est la deuxième denrée la plus consommée au niveau mondial, après le riz. » Tout de même, malgré le soin plus important que les consommateurs apportent à leur santé, ce sont les boissons énergisantes qui se positionnent en haut du palmarès des boissons non alcoolisées. Selon le bilan mensuel des dépanneurs du Québec en date du 27 janvier dernier qui se base sur des chiffres fournis par les bannières, ces produits se retrouvent au premier rang des ventes de boissons non alcoolisées depuis un an. La marque la plus vendue au Québec est Red Bull, suivie de Monster.
Fidèles à la caféine
Le café fait sur place semble aussi devenu une boisson indispensable dans les marchés de proximité. On voit de nombreuses bannières vanter la qualité du produit qu’ils offrent à leur clientèle sur leur site web. « Le café frais est toujours un produit de catégorie destination, c’est-à-dire que les gens vont se déplacer et aller dans un commerce uniquement pour en acheter. C’est un produit hyperémotif qui rend les clients loyaux. S’ils sont acquis au café qu’on leur sert, ils vont revenir souvent. Et s’ils viennent pour leur café, ils risquent d’acheter autre chose… », mentionne Steve Lamontagne.
Là encore, le goût des consommateurs a évolué au fil des années. « Les gens prennent leur café de plus en plus corsé. Nespresso a émergé et a fait connaître le café au consommateur moyen. Le café que l’on sert maintenant dans nos commerces n’a pas le même goût qu’il y a trois ou cinq ans. On travaille avec un torréfacteur pour développer nos recettes, et je goûte avec eux pour ajuster la gamme de cafés », précise-t-il.
Les dépanneurs Super Sagamie ont de leur côté un partenariat avec Van Houtte, tandis que certains magasins ont comme voisin un Tim Hortons ou un McDonald’s. Le marché du café frais est assez alléchant pour que même les supermarchés tentent d’en acquérir une part. On voit en effet pousser quelques comptoirs Starbucks dans des Provigo, signe que la concurrence pour attirer l’attention du consommateur est à son comble.
L’été qui arrive va également remettre au goût du jour un incontournable de la saison estivale : la slush, ou barbotine. Si elle est très populaire par temps chaud même chez les adultes, cette boisson n’est cependant pas une grande préoccupation pour nos interlocuteurs. Bien qu’elle ait déjà organisé plusieurs concours et qu’elle fasse en général beaucoup de promotion, Émilie Girard avoue qu’elle met moins d’énergie sur la slush. Même chose chez Harnois Énergies, où Steve Lamontagne reconnaît que c’est « une catégorie encore mal travaillée ». « Comme les hivers deviennent moins longs, c’est un élément qu’on va commencer à regarder... »
Martin Dessert : des créations sucrées dans les supermarchés
Auparavant réservés à la restauration, au co-packing en épicerie et en offrant des produits en ligne et aux institutions, Martin Dessert a étalé ses services aux supermarchés et autres détaillants alimentaires du Québec durant la pandémie.
Depuis près de 35 ans, cette entreprise québécoise se distingue de ses concurrents en proposant des desserts sans noix et sans arachides à de nombreux établissements en restauration.
Mais depuis 2020, Martin Dessert a élargi ses activités et vend désormais ses créations sucrées à travers plus de 250 points de vente à travers la province, de Montréal au Saguenay, en passant par la Beauce et la Gaspésie. « On a commencé à Québec et les gens commençaient à en entendre parler. Le bouche-à-oreille a été très fort », se souvient Rosalie Bernatchez, coordonnatrice marketing chez Martin Desserts.
C’est à la suite de l’engouement de sa vente de desserts dans la région de Québec en livraison à domicile durant la pandémie que Martin Dessert a développé ses propres boîtes. Un mois après le lancement de l’initiative, près de 500 coffrets chocolatés ont été livrés durant la fin de semaine de Pâques. L’entreprise a ensuite décidé de sonder l’intérêt des détaillants alimentaires à proposer ses créations sucrées.
Aujourd’hui, ses pâtisseries sont disponibles chez une diversité de détaillants, qu’il s’agisse de chaînes de supermarchés comme IGA, Maxi et Métro, mais également dans les boucheries, poissonneries et petits commerces de quartier.
En plus de ne contenir aucune noix ni arachide, les produits de Martin Dessert sont distribués en format prédécoupés. « Les gens n’ont pas besoin de se casser la tête », souligne Mme Bernatchez. Le concept a été pensé de façon à ce que les clients dégustent les desserts sans soucis, ajoute-t-elle.
Un service clé en main
Afin d’accommoder les détaillants, Martin Dessert fournit une offre service clé en main à ceux qui désirent proposer ses gâteaux à leur clientèle. Ainsi, les pâtisseries sont livrées directement par l’entreprise, sans intermédiaire.
Les représentants de Martin Desserts sont aussi disponibles pour discuter des modalités de la vente et du partenariat avec les commerçants au détail dans le but de les satisfaire le plus possible. L’entreprise mise également sur la qualité de ses desserts et de ses interactions avec les détaillants pour tirer son épingle du jeu, afin de rendre un service personnalisé.
Et si un commerçant manque d’espace dans son établissement, il peut se voir fournir un congélateur tombeau par Martin Dessert afin de pouvoir proposer les produits. Une mesure qui fait la fierté de l’entreprise québécoise.
Un service en pleine expansion
Si rapidement après le lancement de son offre aux détaillants alimentaires Martin Desserts a reçu des demandes de la part de commerces à l’extérieur du Québec, l’entreprise se concentre actuellement sur la Belle Province.
Mais elle ne cache pas son intention d’élargir ses activités et d’exporter ses créations sucrées ailleurs au pays d’ici quelques années. « C’est sûr que ce serait un beau projet... »
Le BIO à tout prix ?
21 mai 2024
| Par Bastien Durand, Geneviève Quessy
En dépit de l’augmentation du coût de la vie, les gens d’ici semblent toujours consommer des produits biologiques, notamment dans les épiceries spécialisées. Ne devrait-on pas s’attendre à une diminution de la vente de ces produits à l’avenir ?
« Le bio demeure très populaire, même s’il est vrai qu’il y a des variations selon les catégories, indique Martin Trottier, directeur du développement des affaires chez Horizon Nature, distributeur de produits biologiques auprès de 1000 magasins au Québec. Les mois de janvier et février ont été très bons pour le bio dans les épiceries, malgré une légère baisse, normale, par rapport à décembre ». L’entrepreneur semble rassuré : « On craignait que les ventes baissent ; ce n’est pas le cas. »
Soutenue par des consommateurs de plus en plus conscientisés aux enjeux environnementaux et soucieux de leur santé, la vente de produits biologiques a augmenté ces dernières années en Amérique du Nord. Aux États-Unis, la Organic Trade Association (OTA) signale qu’elles ont franchi pour la première fois les 60milliards de dollars en 2022. Au Canada, le Québec est l’une des provinces en tête, avec la Colombie-Britannique et l’Ontario. En fait, la province détient le plus grand nombre d’exploitations agricoles certifiées biologiques au pays, selon les récentes statistiques du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation. Les épiceries spécialisées ont fleuri dans la province, et les grandes bannières ont enrichi leur offre depuis les années 2010 en prenant le pas des Rachelle Béry ou des supermarchés Avril, spécialisés dans une offre santé depuis les années 1980 et 1990.
Dans une enquête publiée en 2022 pour la Filière biologique du Québec, 57 % des répondants déclarent consommer des produits biologiques, ce qui représente une hausse de 6 % par rapport à 2020. Enfin, 45 % des répondants y affirment être consommateurs de produits biologiques depuis plus de cinq ans, un chiffre en hausse de 8 % par rapport à 2020, ce qui témoigne de la généralisation du bio.
« On travaille sur un volume et non une marge »
Les produits de base comme les fruits et légumes sont les plus demandés et les prix restent relativement épargnés par l’inflation. « Il s’agit d’une catégorie chouchou des consommateurs désireux de prendre soin de leur santé », mentionne la Filière biologique du Québec. Pour d’autres produits, en revanche, l’équation est plus complexe pour le consommateur qui regarde son porte-monnaie. « Parfois, le prix de détail peut faire une différence, par exemple du côté des produits laitiers et des fromages ; quand la demi-livre de beurre bio est à 10 $, c’est un test de valeurs pour les consommateurs… Certains vont alors se tourner vers un produit non certifié ou un autre "clean label" moins cher », explique Martin Trottier.
Dans certaines catégories, les ventes augmentent. « En général, on voit que l’adhésion à la certification bio a un effet sur les ventes. Certains fabricants notent que, entre deux versions de produits, celle qui est certifiée bio va se vendre plus, surtout dans le cas de certains produits comme l’avoine, le maïs et le soja », poursuit-il.
Andrew Facchino, copropriétaire des Marchés Tau, spécialisés dans la vente au détail de produits biologiques, a conscience que le prix devient un facteur de plus en plus sensible pour sa clientèle. « Il y a trois ou quatre ans, lorsqu’on a vu les prix grimper, on a pensé que ça nuirait à l’industrie du bio. On a alors créé notre propre marque privée pour diminuer les marges de profit des distributeurs, explique-t-il. On travaille désormais un volume et non une marge. » Selon lui, le prix de certains de ses produits est inférieur à celui des produits traditionnels.
La Coopérative pour l’agriculture de proximité écologique (CAPÉ) coordonne la livraison de paniers bio « sans intermédiaire entre le producteur et le consommateur ». Sa directrice, Émilie Viau-Drouin, n’est pas non plus inquiète : « Devant l’augmentation des prix en épicerie depuis deux ans, on constate que ceux de nos produits, tant pour les paniers bio que dans nos magasins, sont souvent moins élevés ou équivalent à ceux des produits traditionnels dans les grandes épiceries. Comme nos prix sont fixés avec les producteurs avant la saison de vente, les variations sont minimes, et les clients réguliers restent fidèles. »
Réaménager les tablettes
Attachés à des habitudes de consommation plus responsables, les consommateurs québécois ne semblent donc pas bouder les produits biologiques malgré l’inflation. Ne doit-on pas pour autant anticiper de vivre ce qui se passe de l’autre côté de l’Atlantique ? En France, l’inflation a en effet eu raison de huit années de croissance du secteur. Après une première baisse enregistrée en 2021, la consommation de produits biologiques a de nouveau chuté en 2022 et 2023. Selon les chiffres de l’Agence Bio, le marché a subi une baisse de 4,6% en valeur pour les chaînes d’épicerie et de 8,6% dans les magasins spécialisés. Même constat chez le voisin allemand, où le chiffre d’affaires du secteur a baissé pour la première fois en 2022 (-3,5% par rapport à 2021). Plus préoccupés par leur pouvoir d’achat, les consommateurs européens délaisseraient donc désormais les produits biologiques…
Dans un article publié fin février par The Conversation, Cindy Lombart, professeure de marketing à l’École supérieure de commerce Audencia (France), explique cette baisse : « Malgré une réduction de l’écart de prix entre les produits bio et les produits conventionnels [les produits bio ayant été moins impactés par l’augmentation des coûts des intrants et les fluctuations des cours liées à la guerre en Ukraine], un cercle vicieux s’est mis en place. Les consommateurs achetant moins de produits biologiques, les enseignes ont réagi en conséquence en faisant des coupes dans leurs assortiments, en défaveur des produits biologiques. Les espaces dédiés aux magasins qui ne proposaient que des produits biologiques ont été supprimés, les rendant moins visibles et attractifs. »
Au Québec, des marques, auparavant 100% bio, ont fait le choix d’élargir leurs gammes de produits pour toucher une clientèle plus vaste. Prana, spécialisée en granolas et collations santé, élabore depuis l’année dernière des mélanges de noix non certifiés biologiques destinés expressément aux enseignes à rabais, elles-mêmes de plus en plus populaires. L’entreprise dit avoir dû « s’ajuster » pour demeurer accessible.
L’achat local tend-il à primer de plus en plus sur le bio pour les consommateurs ? Le baromètre 2023 de l’Observatoire de la consommation responsable de l’ESG UQÀM constate que, « malgré l’inflation, le soutien à l’économie locale reste une motivation importante ». Le budget moyen qu’un consommateur québécois consacre à l’alimentation a bel et bien diminué, et les rabais sont recherchés quand on parle de produits biologiques. « En bio, 60% des ventes se font en promotion. On travaille fort avec les détaillants pour en mettre en place. C’est une stratégie qui fonctionne pour l’instant », assure Martin Trottier. Jusqu’à quand ?
Le gaspillage alimentaire n’est pas un sujet à mettre à la poubelle. Prendre en compte ses invendus s’avère être une stratégie gagnante pour valoriser son entreprise. Des solutions existent, et d’autres peuvent s’inventer.
« Dans notre société, le gaspillage est prévu, normal et banal », explique Éric Ménard, auteur du blogue Tu vas pas jeter ça ? Il définit le gaspillage alimentaire comme « toutes les parties comestibles d’un aliment destiné à la consommation humaine qui sont perdues, jetées ou détournées de l’alimentation humaine à un moment ou l’autre de la chaîne alimentaire ». Depuis 2013, le coordonnateur du Réseau contre le gaspillage alimentaire (RÉGAL) a publié de nombreuses études sur le sujet.
Il démystifie notamment une « importante confusion » autour du gaspillage alimentaire : « Il est faux d’affirmer que près de 60% de la nourriture est gaspillée au Canada ». Ce chiffre, diffusé par l’organisme de récupération alimentaire canadien Second Harvest et relayé par de nombreux médias d’information, comptabilise aussi les résidus non comestibles. L’expert arrive plutôt à la conclusion qu’il est extrêmement difficile de rendre compte de la quantité gaspillée, étant donné que « beaucoup de détaillants alimentaires ne la mesurent pas ».
Selon Bobby Grégoire, chef et co-initiateur de La Transformerie – un OBNL qui récupère les surplus des détaillants alimentaires et les transforme afin qu’ils soient prêts à être consommés –, si les détaillants alimentaires ne mesurent pas la quantité de gaspillage qu’ils génèrent, c’est qu’ils n’ont aucun incitatif financier à le faire. « Ils n’imaginent pas qu’ils pourraient générer du profit en réduisant leurs déchets… »
« Il est inadmissible que l’on jette de la nourriture en 2024. Du champ à l’assiette, tout le monde devrait faire un effort pour réduire le gaspillage alimentaire ! » s’exclame Vincent Mathé, président de Cool & Simple. Dans ses magasins, il n’y a rien à mesurer puisque l’épicerie spécialisée en vente de produits surgelés ne jette rien. « Dans les premières années, comme dans beaucoup d’autres commerces, les invendus étaient distribués aux membres du personnel, mais une partie finissait à la poubelle », relate le président. Une semaine avant la date de péremption d’un produit, l’entreprise réduit son prix de moitié.
Une solution qui se télécharge
En 2021, Cool & Simple se met à utiliser Too Good To Go (TGTG), une application créée en France. Le concept repose sur la vente à prix réduit de paniers surprises qui contiennent les produits invendus ou périmés mais encore consommables du commerçant. Au Québec, d’autres applications permettent de réduire le gaspillage alimentaire, comme Flashfood et FoodHero. « Notre objectif est d’agir sur l’enjeu du gaspillage alimentaire et de l’environnement en donnant accès à une solution simple et facile d’utilisation, tant pour les consommateurs que pour les commerçants », explique Nicolas Dot, l’un des porte-paroles de TGTG au Canada. Le consommateur réserve, paie son panier par l’application et le récupère directement en magasin. Chaque panier pèse environ 1 kg, et les produits sont vendus au tiers de leur prix initial.
« Nos clients paient 6,90$ un panier qui en vaut 21,90 », explique Vildan Ozfidan, responsable des opérations de Cool & Simple. En février dernier, l’entreprise a dépassé la barre des 300 millions de paniers vendus dans le monde, dont 700 000 au Québec. D’après la responsable, à la fin de la journée, il ne reste aucun panier. Cependant, tous les produits Cool & Simple ne sont pas vendus en magasin ; les deux tiers des ventes du détaillant se font auprès de professionnels du secteur de la restauration, et les invendus sont nombreux. « Nous donnons le reste à Moisson Montréal », indique Vincent Mathé.
Alors que la communauté TGTG semble ouverte à consommer des produits surgelés dont la date de péremption est dépassée, le président déplore le fait qu’ils soient encore mal vus par les professionnels du détail. Il précise que beaucoup de gens ignorent qu’il n’y a aucun risque pour la santé à consommer un produit surgelé dont la date de péremption est dépassée de six à neuf mois, tant que la chaîne du froid est respectée. « Ça prend des leaders chez les détaillants pour changer les choses… »
Empoter le gaspillage
« Dans la majorité des cas, les produits que l’on reçoit sont de bonne qualité, prêts à être cuisinés », mentionne Bobby Grégoire. La Transformerie a actuellement des partenariats avec une dizaine d’épiceries de différentes envergures à Montréal qui se défont de leurs invendus. Chaque dimanche, les membres de l’organisme partent avec leur camion réfrigéré et récupèrent les produits « imparfaits », puis les trient dans leur cuisine.
D’autres initiatives québécoises, comme Still Good, Sauve ta bouffe, Loop ou Improove, collectent et sauvent des denrées alimentaires sur le point d’être jetées par les épiceries ou les fournisseurs. Les détaillants alimentaires auraient avantage à faire appel à un organisme comme La Transformerie pour deux raisons principales, croit Bobby Grégoire. « Ils diminuent le poids de leurs déchets et donc le prix de leur levée du compostage. Nous proposons aussi à nos partenaires une marge importante sur nos pots de produits rescapés. C’est une solution gagnante », assure-t-il.
De son côté, l’organisme fait face à un défi d’adaptation important. « Il faut s’assurer que, peu importe l’état de mûrissement du fruit ou sa variété, on arrive à un résultat constant. Pour obtenir une bonne marmelade d’agrumes pas trop amère, on a réalisé une soixantaine de tests avant d’arriver à un résultat concluant. Notre critère le plus important est le goût : il faut que ce soit bon, que l’on ait du plaisir. »
Selon Éric Ménard, les grandes chaînes auraient également les moyens financiers de créer des cuisines pour transformer les invendus. « Elles prévoient toujours plus de stocks, de peur d’en manquer. Elles jettent préventivement. Il faut que, à l’œil du consommateur, ça ait toujours l’air plein et impeccable, parce que la publicité et la culture l’ont habitué à chercher la perfection. Les entreprises ont raison de penser que, pour le même prix, le client choisira souvent le plus beau fruit. »
Il existe également une « crainte non fondée » selon laquelle il pourrait y avoir une pression excessive de la demande de fruits et légumes imparfaits vendus au rabais. Le spécialiste affirme qu’il y aura toujours des clients prêts à acheter les légumes à différents stades de mûrissement. D’après lui, la meilleure solution de réduction du gaspillage pour un épicier est de proposer au rabais les produits alimentaires abîmés, moches ou approchant de leur date de péremption ; d’ailleurs, le groupe Loblaw est revenu sur sa décision de renoncer à ses rabais de 50%.
Bobby Grégoire suggère aussi de développer des méthodes de prix dynamiques dans les rayons des supermarchés afin de mieux gérer l’état des produits au fil du temps. Les prix pourraient être affichés sur écran numérique plutôt que sur des étiquettes et s’ajuster en fonction du stade de mûrissement du fruit dans les rayons. « Il a été prouvé que ça fonctionne très bien, mais pour ça il faut changer la technologie… »
Les pays scandinaves gaspillent moins
L’OBNL Center for Biological Diversity révèle que neuf des dix chaînes de supermarchés américaines évaluées ont reçu une note de C ou moins en matière de gaspillage alimentaire. D’un autre côté, la France semble davantage se préoccuper de la question en ayant notamment adopté en 2023 une loi anti-gaspillage pour une économie circulaire. Cette loi prévoit d’accélérer le changement de modèle de production et de consommation afin de limiter les déchets. D’après une étude réalisée par l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie en 2023, un supermarché français ayant réduit de moitié ses pertes et gaspillages alimentaires en un an a ainsi économisé 300 000 euros.
À Helsinki (Finlande), des rabais de 30 à 60% sont appliqués aux produits « invendables » dans les 900 supermarchés S-Market à partir de 21h. Cette initiative fait partie d’une campagne visant à réduire le gaspillage alimentaire que la direction de l’entreprise a nommée « happy hour » pour attirer les habitués. Au Danemark et en Suède, certains supermarchés ne mettent en rayon que des produits rejetés par les enseignes traditionnelles mais propres à la consommation : produits dont l’emballage a été abîmé lors du transport, fruits et légumes imparfaits et denrées dont la date limite de consommation a été dépassée.
Tous les produits ne sont pas disponibles, et le choix n’est pas aussi grand que dans les enseignes classiques, mais les prix sont inférieurs et attirent une solide clientèle. Selon Éric Ménard, ces initiatives pourraient être mises en place au Canada. Bobby Grégoire abonde, avant de conclure : « On devrait les étudier et les tester pour les mettre en place ici. »
Pour beaucoup de gestionnaires, les compétences liées au poste priment sur le reste. Si elles sont certes nécessaires, elles ne doivent cependant pas être isolées de l’individu. S’intéresser à ses employés pour qu’ils évoluent dans les meilleures conditions possibles est une force à ne pas négliger dans l’industrie.
Équité, diversité et inclusion – ou EDI pour l’acronyme. Voilà trois mots à la mode que l’on entend souvent lorsqu’on parle de gestion des ressources humaines. Qu’est-ce qu’ils veulent dire ? Comment les mettre en action dans son entreprise ? Ces questions sont légitimes pour de nombreux gestionnaires ou dirigeants pris dans le quotidien d’une entreprise à faire tourner. Le sujet prend racine dans l’industrie.
Preuve s’il en est de l’intérêt grandissant pour cet enjeu dans les entreprises, le Comité sectoriel de main-d’œuvre du commerce de détail (Détail Québec) organisait, à l’occasion de son assemblée générale annuelle en novembre dernier, un événement consacré à l’inclusion et à la diversité. « C’est devenu un sujet d’importance capitale pour nos commerces de détail et de l’alimentation, note Manuel Champagne, directeur général de Détail Québec. Avec 20 000 à 30 000 postes de première ligne vacants dans le commerce de détail (tous commerces confondus), rendre son entreprise attirante parce qu’elle favorise l’intégration et l’inclusion est une force. »
Pour Manuel Champagne, l’intégration et l’inclusion regroupent deux réalités distinctes : « Intégrer, c’est dans un groupe, une équipe. Inclure, c’est faire en sorte que la personne se sente pleinement considérée comme être humain dans l’entreprise. » Une fois recrutée, la personne « doit se sentir acceptée pour ce qu’elle est en plus de ce qu’elle sait faire ».
Et il n’est pas seulement question ici des personnes issues de l’immigration. « C’est bon pour tout le monde. On pense souvent à ce "groupe cible", mais il y en a d’autres : les personnes en situation de handicap, les transsexuels, les 55 ans et plus ou encore les personnes ayant un passé judiciaire, qui restent stigmatisées. Et au Québec en tant que tel, on peut mentionner les personnes d’expression anglaise seulement. C’est une réalité, ça aussi. »
S’ouvrir à son personnel
Il peut y avoir plusieurs raisons pour lesquelles on souhaite amorcer un virage EDI. « Souvent, c’est une obligation, une situation ou une problématique interne qui va changer le paradigme au sein d’une organisation. Mais c’est surtout par conviction que cela prend réellement forme, parce que ça devient la priorité de la direction, insiste Martine Lafrance, conseillère en ressources humaines pour Inclusio Conseils et consultante en équité, diversité et inclusion. C’est de la gestion de changement d’abord et avant tout. »
En tant que gestionnaire, comment réussir à s’intéresser à ses collaborateurs, à ses salariés, à ses employés ? « Il faut aller au-delà de ce que l’individu apporte à l’entreprise. C’est comprendre en profondeur la personne, s’ouvrir à elle, être attentif. Lorsqu’on voit qu’une personne n’est pas à l’aise devant une tâche, il faut la questionner, discuter avec elle pour comprendre. Il y a souvent des aspects que l’on ne voit pas au premier abord. »
L’expérience des employés doit être au centre de la démarche. Dans les grandes entreprises, l’impossibilité de connaître chacun des membres de son personnel est une évidence. Ce qui importe, c’est de travailler pour concevoir l’environnement le plus accueillant possible. Pour Martine Lafrance, « ce n’est pas comme une nouvelle technique de vente ; ici, on parle de valeurs pour créer un changement de culture dans l’organisation. Il n’y a pas vraiment d’indicateurs tangibles à regarder. »
Voir plus loin
Être plus ouvert dans son entreprise permet d’accéder à des ressources auxquelles les gestionnaires ne pensent pas forcément. Selon Martine Lafrance, le bassin de main-d’œuvre est de plus en plus restreint et des profils peuvent se présenter si la façon de recruter est plus inclusive. « L’exemple souvent utilisé est la fiche de poste qui demande au candidat de parler un français impeccable, alors que, pour les tâches confiées, ce n’est pas nécessairement un besoin pour être 100% autonome. L’employeur peut l’accompagner à améliorer son français dans un deuxième temps. » Des aides financières du gouvernement du Québec existent dans ce sens pour couvrir alors au moins une partie du salaire de l’employé.
Pour un détaillant alimentaire, rendre accessible son magasin aux personnes à mobilité réduite permet à la fois d’accueillir une nouvelle clientèle et d’être reconnu dans le quartier et même au-delà. « La mise en place d’un design inclusif est une valeur ajoutée pour un commerce. Les gens sont de plus en plus sensibles aux enjeux sociétaux », souligne Manuel Champagne. Des rayons adaptés ou encore une écriture inclusive sur les panneaux indicatifs dans le magasin sont autant d’indicateurs qui contribuent à rendre un environnement plus accueillant.
L’EDI est un sujet transversal qui ne s’applique pas uniquement au recrutement et à la gestion des ressources humaines. « Il faut de plus en plus orienter sa marque employeur sur ces défis. Que ses fournisseurs, ses partenaires puissent le reconnaître en externe est important, note Martine Lafrance. Les dirigeants doivent avoir une vision à 360° de l’intérêt pour leur entreprise. »
Lors d’événements promotionnels, s’allier avec des partenaires qui ont cette même vision crée encore plus de cohérence. « C’est l’image de son entreprise que l’on veut mettre en avant. » Enfin, commercialement parlant, avancer sur ces enjeux est aujourd’hui primordial lorsqu’on regarde l’évolution de la société. « Le bouche-à-oreille fonctionne fort. Lorsque tu entres dans un commerce et que les employés se sentent à l’aise, l’expérience client n’en sera que meilleure, et la possibilité de vendre de nouveaux produits pourrait suivre ».
Se former
Si la prise de conscience est en train d’émerger dans le secteur, nous n’en sommes qu’au début, estime la consultante : « Au Québec, il n’existe pas encore de subvention pour faire des changements spécifiques en EDI et pour aider les entreprises à s’investir. » En collaboration avec Détail Québec, Martine Lafrance prépare des modules de formation à l’intention des personnes issues de l’immigration. « Le but est de dresser les bases de l’EDI et de suivre tous les volets de gestion des RH : du recrutement à la formation jusqu’à la rémunération, avec des exemples », précise Manuel Champagne.
Le cégep du Vieux Montréal propose, en collaboration avec le Centre de recherche pour l’inclusion des personnes en situation de handicap (CRISPESH), un parcours de formation pour accompagner les entreprises face aux défis de l’emploi des personnes en situation de handicap, plus précisément celles à mobilité réduite.
Pour le Comité sectoriel de main-d’œuvre du commerce de l’alimentation (CSMOCA), c’est aussi un enjeu. « Nous sommes actuellement en train de refaire nos modules de formation sur les compétences managériales pour intégrer un volet spécifique EDI, assure Laurence Zert, directrice générale du CSMOCA. Une épicerie est un polaroïd du quartier qui doit s’adapter à son environnement social. Les gestionnaires ne peuvent pas s’occuper de la même manière des employés et d’une clientèle dans un quartier comme dans un autre. Ils doivent être capables de vivre avec ça. » Concrètement, l’organisation prépare notamment un lexique de termes québécois à l’intention des personnes immigrantes.
Même si les modules de formation apportent des lignes directrices et une manière de réfléchir au sujet, le meilleur apprentissage est celui que l’on acquiert par l’expérience, croit Martine Lafrance. « Sur ce sujet, il est impossible d’arriver à saturation : la société évolue sans cesse. Il faut se renseigner, être à l’écoute et impliquer ses salariés. »
En raison de son développement accéléré par la pandémie, le service de livraison à domicile de l’épicerie est devenu quelque chose de presque banal. La technologie et la logistique qui y sont consacrées permettent aux chaînes de servir leur clientèle quand elle le veut et où elle le veut. Doit-on pour autant tout miser sur la vitesse ?
« La vie ne se déroule pas selon un horaire précis », écrit Uber Eats sur son site. Sur la page d’accueil de la plateforme, on recommande de grandes chaînes d’épicerie pour faire ses emplettes, au même titre que le dernier restaurant à la mode. Les logos de Metro, Walmart, Costco ou encore Super C côtoient les Dollarama et Jean Coutu. En dessous des bannières, l’entreprise américaine spécialisée dans la livraison à domicile affiche une seule information : « 30-50 min », « 45-65 min », « 50-70 min ». L’objectif : attirer le client vers le magasin où l’attente sera la moins longue.
Déjà en augmentation, les achats en ligne se sont accélérés depuis la pandémie, et la livraison à domicile a ainsi su tirer son épingle du jeu. Dans une enquête publiée par Paypal Canada en 2021, la plateforme de paiement en ligne soulignait la croissance du secteur et la préférence de beaucoup d’acheteurs pour le commerce électronique. Parmi les plus gros postes de dépenses en ligne, après les vêtements et les loisirs, l’épicerie figure en troisième position ; 49% des répondants affirment faire leur courses d’épicerie en ligne.
Toujours plus vite
En fonction de ses besoins, le consommateur peut choisir ce qu’il veut, quand il veut et où il veut. Les gros joueurs de l’industrie sont donc naturellement attirés par le convenient, indique Jordan LeBel, spécialiste en marketing alimentaire et professeur à l’Université Concordia. Le ramassage en magasin est toujours davantage utilisé lors des achats d’épicerie en ligne, mais il pourrait diminuer au cours des prochaines années. Selon un rapport de l’Université Dalhousie réalisé en 2021, l’achat en ligne combiné à la livraison à domicile augmente, et de « nombreux nouveaux acteurs en ligne comme Amazon et d’autres non traditionnels continueront d’affecter le secteur ».
Désireuses d’atteindre coûte que coûte les consommateurs, les chaînes d’épicerie sont au rendez-vous. En plus d’avoir leurs propres services de livraison, elles proposent aussi la livraison via les plateformes déjà présentes sur le marché. Si l’on prend l’exemple de Metro, le partenariat entre la plateforme Cornershop d’Uber Eats et l’enseigne, officialisé en 2019, vise à « répondre à la demande des clients pour des livraisons plus immédiates ».
En 2022, cette même enseigne avait annoncé que plus de 70 de ses magasins au Québec seraient présents sur une des plateformes concurrentes, Instacart, spécialisée dans l’épicerie en ligne et présente auprès de plus de 80 000 magasins en Amérique du Nord. « C’est une aubaine pour les plateformes, pense Jordan LeBel. Elles détiennent l’information sur le consommateur, ses habitudes et ce qu’il commande le plus, de la même manière que dans le cas des restaurants. »
Pour aller encore plus loin, on fait appel à la technologie. Depuis quelques années, Uber Eats collabore ainsi avec de jeunes pousses du secteur de la mobilité durable pour tester des véhicules de livraison autonomes aux États-Unis et des robots de livraison au Japon. « C’est une vraie course pour se positionner dans le futur de la livraison alimentaire », poursuit le spécialiste. Au Canada, en 2022, le service PC Express de Loblaw a commencé à livrer des commandes d’épicerie dans des camions sans chauffeur à Toronto. Si les grands joueurs cherchent la vitesse avec la démocratisation de la livraison à domicile, celle-ci n’est pas un facteur essentiel pour les épiciers et détaillants de plus petite taille.
« Je mange mes marges, mais je n’ai pas le choix »
Pour Jordan LeBel, beaucoup de commerçants veulent se mettre à la page : « La livraison à domicile est désormais proposée pour presque tout type de commerce, d’autant plus dans le détail alimentaire où les achats sont quotidiens et souvent répétitifs. » Dès 2021, l’Association québécoise des technologies (AQT), financée par le gouvernement fédéral et le Québec, a proposé d’assister les commerçants souhaitant mettre en place une plateforme de commerce en ligne. Le programme, baptisé Mon commerce en ligne, a appuyé depuis sa création plus de 600 détaillants alimentaires en proposant une formation sur le sujet.
Parmi eux figure l’épicerie Sous les Oliviers, spécialisée en importation d’huile d’olive et de vinaigre balsamique d’Italie, qui compte quatre succursales au Québec. La propriétaire Josée Nadeau a lancé sa première plateforme de commande en ligne dès 2015. « Maintenant, on ne peut pas s’en passer », note la commerçante. Mais chez elle, ce qui compte, c’est encore et toujours l’expérience client en magasin : « On vend des produits spécialisés. Les gens doivent au moins passer la porte de nos magasins une fois pour goûter aux produits avant d’acheter. Comment faire goûter en virtuel ? » Les achats en magasin comptent encore pour 85% de son chiffre d’affaires, le ramassage pour 10% et la livraison à domicile pour seulement 5%. On observe à peu près les mêmes chiffres dans d’autres magasins du même type.
« Une fois que la confiance est établie avec le client et que celui-ci est satisfait des produits, il peut de lui-même commander en ligne et même faire livrer sa commande », explique Josée Nadeau. Cependant, le coût de la livraison est à prendre en considération, et les marges sur les commandes sont plus faibles. « Je continue à proposer la livraison aux clients qui le souhaitent. Je mange mes marges, mais je n’ai pas le choix… »
Livrer « avec charme et attention »
La course à la vitesse découle d’une compréhension erronée par l’industrie de ce que représente l’alimentation : ce n’est pas une simple marchandise ou un bien de consommation, estime Jordan LeBel. « Les marques sont convaincues que le consommateur va toujours acheter en regardant d’abord le prix. Si le contexte économique actuel l’y pousse, il reste dangereux d’avoir cette vision unique. » Pour les plus petits joueurs, il faut donc être créatif. Il y a des moments dans le processus d’achat qui importent : « Si la praticité est le nerf de la guerre, il ne faut pas oublier que l’aliment, c’est aussi quelque chose qui rassemble les gens. »
Comment alors maximiser son impact avec ce service devenu indispensable ? La logistique doit avant tout être bien pensée. « Il faut miser sur les aspects où l’épicier détient le contrôle. Dans un colis de livraison, pourquoi ne pas mettre un petit quelque chose de spécial ? Il faut qu’on arrive à livrer avec charme et attention… », suggère-t-il. Aujourd’hui, les outils manquent et des modèles sont sans doute à inventer.
Pour sa part, Josée Nadeau pense que « le magasin physique existera toujours », même si la livraison est aussi intéressante pour fidéliser la clientèle. « Il faut garder notre plateforme en ligne ouverte. C’est essentiel en 2024. Je me sers de la livraison comme d’une publicité : je glisse des recettes, des suggestions et des échantillons d’huile d’olive que je reçois de mes fournisseurs… » L’avenir de la livraison ne serait-il pas aussi de reconstruire une expérience client à distance ?
Ces marques d’ici sur nos tables depuis 150 ans
19 avril 2024
| Par Catherine Ferland, historienne
C’est bien connu : le goût, l’odorat et même la gourmandise sont particulièrement chevillés à la nostalgie. Qui ne s’est pas déjà exclamé « Ah, que ça me fait penser à la cuisine de ma grand-mère ! » en humant un appétissant fumet ? Certaines marques font aussi partie de ces souvenirs. Revisitons l’histoire de quatre entreprises alimentaires de chez nous qui ont traversé les générations : Catelli, Gadoua, Cordon Bleu et Boivin.
Catelli (de 1867 à aujourd’hui)
C’est en 1867 que Carlo Onorato Catelli, un jeune homme récemment émigré d’Italie, fonde à Montréal une petite manufacture de pâtes prêtes à cuire, la Catelli Macaroni Co. Au départ, les pâtes sont entièrement confectionnées à la main, mais les procédés mécaniques permettent, dès les années 1890, d’automatiser certaines étapes de la production. Catelli devient la toute première usine de pâtes alimentaires du Canada.
Il y a d’abord les vermicelles, ces petites pâtes fines utilisées dans les hôpitaux pour agrémenter les bouillons destinés aux malades. Puis les macaronis, surtout utilisés par les ménagères qui en font l’ingrédient central de leurs plats en casserole et de leurs gratins. Au tournant du 20e siècle, désireuse de diversifier sa production, Catelli met sur le marché ses nouilles à soupe alphabet, puis plusieurs autres types de pâtes comme les spaghettis et les pennes.
L’entreprise prend beaucoup d’expansion à partir des années 1930. Durant la Grande Dépression, on apprécie le côté pratique des pâtes alimentaires, qui permettent de préparer des mets économiques et nourrissants. C’est aussi à cette époque que l’entreprise commandite Les jeunes talents Catelli, un concours de chant et de musique diffusé sur les ondes de CHRC.
Si, comme bien des entreprises québécoises, Catelli a connu le jeu des vente-achat-revente-rachat et est passée entre diverses mains au cours du 20e siècle et du premier quart du 21e siècle, la marque elle-même a perduré au point d’être encore présente aujourd’hui sur les tablettes des détaillants alimentaires.
Gadoua (1911-2023)
Le pain était traditionnellement fabriqué et consommé localement, mais les choses ont commencé à changer au début du 20e siècle dans la foulée de l’amélioration des moyens de transport et, par conséquent, du développement de la livraison sur de plus longues distances. C’est dans ce contexte que sont nées de nombreuses boulangeries, dont certaines ont pris une part importante du marché régional, voire provincial.
Montérégie, 1911. Wilfrid Gadoua achète la petite boulangerie de Napierville où il travaille. C’est le pain moelleux qui fera d’abord sa réputation. Peu après la Seconde Guerre mondiale, son fils Jean A. Gadoua procède à l’achat d’une trancheuse et d’une emballeuse de manière à offrir du pain tranché. Cette innovation marque le début de la diversification des produits : on propose bientôt des pains à hot-dog et à hamburger, des bagels, des petits pains à salade, etc.
Au tournant de la décennie 1990, Gadoua a le vent en poupe : la boulangerie modernise ses installations et acquiert de nouvelles usines. Ses produits sont distribués partout au Québec. Le 21e siècle va toutefois sonner le glas de l’entreprise. Après avoir été vendues à la société Weston qui les revend à des intérêts étrangers, les installations de Napierville sont définitivement fermées en 2023.
Cordon Bleu (de 1933 à aujourd’hui)
S’il y a longtemps que l’humanité a eu l’idée d’emmagasiner des denrées dans des récipients pour les manger plus tard, il a fallu attendre la révolution industrielle pour que soient élaborés des procédés de conservation véritablement performants : en gardant les aliments à l’abri des bactéries, les conserves « modernes » ont permis d’en prolonger considérablement la période de consommation.
C’est dans un quartier montréalais qu’est née l’entreprise québécoise Cordon Bleu. Nous sommes dans les années 1930 : madame Faille, une cuisinière montréalaise, jouit alors d’une belle réputation grâce à ses pâtés de jambon et de foie, ainsi qu’à son poulet désossé. Avec l’aide de ses fils Lucien et Aimé, les bonnes denrées de madame Faille sont vendues dans des pots scellés sous l’étiquette Cordon Bleu. L’un de ses voisins, le distributeur de produits alimentaires J. René Ouimet, se lie d’amitié avec la famille Faille. Il voit le potentiel commercial de ces produits cuisinés.
Tout en étant le distributeur exclusif de Cordon Bleu au Québec et en Ontario, J. René Ouimet commence à y investir lui-même, au point de devenir président de l’entreprise après la Seconde Guerre mondiale. De nouveaux mets en conserve, dont le ragoût de boulettes qui deviendra un produit phare, s’ajoutent progressivement à l’éventail de produits. Aujourd’hui, non seulement cette marque existe toujours, mais elle englobe aussi Paris Pâté, Clark et Esta.
Fromagerie Boivin (de 1939 à aujourd’hui)
Au début du 20e siècle, les fromageries sont fréquemment au service des producteurs laitiers, dont elles transforment les surplus de lait : elles sont payées en fonction de la quantité et de la qualité du fromage produit. C’est la volonté de gérer leur chaîne de production qui incite quelques membres de la famille Boivin (les frères Noël, Herman, Patrick et Antonio et leur mère, Marie Bluteau) à ouvrir leur propre fromagerie à La Baie (Saguenay–Lac-Saint-Jean), l’année même du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale.
Jusqu’au milieu des années 1950, le fromage Boivin est fabriqué dans un bâtiment de ferme, où le lait de la ferme familiale et de quelques fermes environnantes est transformé en cheddar destiné à l’exportation. La famille commence ensuite à développer ses installations, en plus d’acquérir des fromageries concurrentes, diversifiant ainsi sa production et étendant son marché. Si le fromage en grains existait déjà, c’est au cours des années 1960 que l’intérêt pour celui-ci se développe véritablement au Québec, l’invention de la poutine lui donnant une énorme impulsion.
Les dernières décennies du 20e siècle permettent de moderniser l’usine de transformation et de structurer la distribution. Si un incendie réduit les installations en cendres en 2011, les propriétaires de la fromagerie (qui est toujours aux mains de la famille Boivin) ont su se relever, assurant l’approvisionnement en cheddar de milliers de points de vente, depuis les dépanneurs jusqu’aux grandes surfaces comme Costco.
Bien d’autres entreprises auraient pu être énumérées ici : Viau, Perron, Habitant, Leclerc, Vachon, Coaticook… Le Québec inc. gourmand est un terreau plus que fertile pour les épicuriens curieux.
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