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Crédit photo: Floèm
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Infuser le Québec

16 avril 2024 | Par Marie Pâris

Il est loin le cliché du petit sachet de camomille dans une tasse d’eau tiède, façon grand-maman. Dans le sillon du thé ou du vin, la tisane de qualité fait sa place dans les magasins. Son atout ? En plus d’être un produit sain, elle provient souvent du terroir local.

À la boutique montréalaise de Camellia Sinensis, au milieu des boîtes de thé et des accessoires de service, une étagère est consacrée aux tisanes. Si la marque n’en vendait pas à son lancement il y a 25 ans, elle compte aujourd’hui une vingtaine d’infusions différentes, dont 70% sont des mélanges de plantes locales. Un bel ajout pour cette entreprise spécialisée dans les thés de dégustation, et qui répond à une demande grandissante.

En 2004, la boutique reçoit la visite de l’herboriste de La Maria, venue présenter ses produits. « Ça sortait vraiment du petit sachet de camomille pas fraîche qu’il y avait alors sur le marché, raconte Jasmin Desharnais, copropriétaire de Camellia Sinensis et responsable des tisanes pour la marque. Quand on a réalisé qu’il y avait aussi des produits de dégustation dans la tisane, on s’est dit qu’il fallait y aller. »

La maison de thé commence à vendre des infusions en magasin ; dix ans plus tard, la gamme arrive sur la boutique en ligne. Les produits, vendus entre 15 et 17 $ le lot de 20 g, se retrouvent également en épicerie, de Rachelle Béry à Avril. « On en vend quand même 500 kg par an, précise le dégustateur. C’est énorme pour le Québec. On a un grand marché ; et je ne pensais pas qu’il grandirait encore ! » Les infusions représentent désormais 15% des ventes de la marque – dans son bilan de Noël, le Coffret 5 tisanes a été l’un des ensembles cadeaux les plus vendus.

Une alternative au café

Floèm, jeune entreprise montréalaise spécialisée dans les tisanes boréales, distribue ses produits dans 300 petits points de vente et quelques grandes bannières (Rachelle Béry, Metro). La cofondatrice, Roxane Valiquette, explique en partie la popularité de ses produits par la demande grandissante pour une alternative au café : une boisson chaude sans caféine, pour la fin de repas, en soirée notamment – mais une bonne boisson chaude, qui ne soit pas « la petite camomille pas fraîche qu’on retrouve partout », rit Jasmin Desharnais.

« Je compare ce mouvement à la montée de la demande pour la bière sans alcool », poursuit l’entrepreneure. La tisane a en effet de nombreux avantages pour la santé et des propriétés auxquelles les clients sont de plus en plus attentifs : relaxante, antioxydante, digestive…

Mais si beaucoup d’acheteurs la questionnent sur les bienfaits des plantes de ses mélanges, la jeune femme se garde de répondre ; à défaut d’être certifié comme professionnel de santé, il n’est pas légal de parler des propriétés des produits et de leur influence sur l’organisme. « Nous, on est des dégustateurs qui vendent du goût. On n’a pas la formation pour vendre des propriétés, tranche Jasmin Desharnais. Les propriétés détox ou autres des tisanes, on n’embarque pas là-dedans. »

L’atout du local

Si le dégustateur s’est porté volontaire pour gérer le volet tisanes de l’entreprise, c’est notamment parce que, contrairement aux thés, il peut travailler avec des produits locaux. « Ça fait des années qu’on fait de l’importation, alors c’est bien de pouvoir faire un peu affaire avec des gens d’ici… Je suis ravi qu’avec notre succès on puisse encourager des cueilleurs québécois. » Chez Camellia Sinensis, les infusions d’ici ont un emballage marqué d’une fleur de lys.

Sapin baumier, poivre des dunes, achillée millefeuille, comptonie voyageuse ou encore myrique baumier : chez Floèm, on constate aussi l’intérêt grandissant de la clientèle envers les produits d’ici. « De plus en plus de gens s’intéressent aux plantes de la forêt, ils commencent à les connaître et donc à vouloir goûter », affirme Roxane Valiquette. Mais elle note également qu’il y a encore beaucoup d’éducation à faire sur les plantes d’ici : « On pense que tout le monde au Québec connaît le thé du Labrador, mais vraiment pas ; quand on fait les marchés, moins d’une personne sur cinq en a entendu parler ! »

Comme certains rechignent à acheter une boisson aux ingrédients encore peu connus – et au prix plus élevé –, Camellia Sinensis a lancé deux produits plus classiques : une tisane à la camomille et une autre à la menthe. « La demande pour ces produits ne disparaîtra pas, et c’est bien correct. Tout le monde ne peut pas payer plus cher pour du local, reconnaît Jasmin Desharnais. Et pour les clients qui veulent un produit courant comme une camomille, on a le meilleur et le plus frais sur le marché. »

Des volumes limités

Avec les plantes locales, il y a un autre défi que le prix : celui de l’approvisionnement, puisque la plupart des fournisseurs offrent leur produit à raison de 2 à 4 kg à la fois. Avec des herbes cueillies à la main et séchées traditionnellement, difficile de produire plus sans machinerie. Même si la clientèle demande plus de tisanes d’ici, Camellia Sinensis est ainsi limitée dans son offre à cause du volume disponible.

En attendant, les entreprises qui proposent des tisanes du Québec se multiplient. On pense à Tipika, fondée il y a une dizaine d’années à Sacré-Cœur (Côte-Nord), qui offre du thé du Labrador ou encore des mélanges de rose et thé des bois cueillis dans la région, ou encore à La Ferme d’Achille, de Saint-Ubalde (Portneuf) et sa tisane à l’argousier produit sur place. Floèm travaille pour sa part avec des cueilleurs d’un peu partout au Québec. « On stocke beaucoup pour toujours avoir de tout à disposition ; c’est rassurant pour les clients, indique Roxane Valiquette. Les clients qui achètent directement à des cueilleurs ne savent pas d’une saison à l’autre s’ils pourront avoir la quantité voulue, alors que nous on offre une stabilité d’approvisionnement. »

Pour Floèm, le principal défi reste le goût, à cause des « arômes artificiels des tisanes bas de gamme ». « Les gens sont habitués à des goûts très forts et prononcés, et quand ils boivent quelque chose de naturel et sans sucre, ils trouvent parfois que ça ne goûte rien », rapporte l’entrepreneure. Elle met alors en avant la panoplie de saveurs que proposent les produits locaux, reproduisant d’ailleurs parfois des goûts bien connus - comme la vanille, qu’on retrouve dans le mélilot.

Camellia Sinensis / Photos Bastien Durand

Mots-clés: Québec